Souvent nous abordons nos épreuves dans un esprit de compétition exacerbé quand il y en a d’autres qui eux, le font pour partager des moments intenses et rares.

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« Les 20KM de Marseille-Cassis » est une épreuve sur route inscrite au calendrier de la Fédération Française d’athlétisme et classée dans le top 50 des courses mondiales. C’est une épreuve redoutée et célèbre pour son dénivelé sur toute la première partie de la course du 2ème au 9èmeKM.

Cette année encore la course a été victime de son succès : les 15M dossards sont partis comme des petits pains, alors mon ami aveugle Alain et moi-même n’avons trouvé comme dernier recours que d’aller en chercher sur « le bon coin ».

Depuis le temps que j’en rêve, j’ai enfin l’opportunité de vivre l’expérience de guide d’aveugle sur une compétition. J’ai toujours été intrigué de voir deux personnes qui courent ensemble : qu’est-ce qu’elles échangent, comment elles se coordonnent, comment elles évitent les obstacles, comment elles s’encouragent et surtout comment se passe l’expérience assez particulière de courir attaché à quelqu’un, d’être prisonié de quelqu’un le temps d’une course ?
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Rebaptisés au nom de Laurence Gorneau et de Cécile Marcarian, Alain et moi allons prendre le départ.

Le 27 au matin je me réveille vers 6H sous mon nouveau nom de Cécile Marcarian. Je petit déjeune en me disant que je dois emmagasiner de l’énergie pour deux. Rien de mieux qu’une bonne navette de Marseille accompagnée d’un bon bol de café et d’une brioche aux céréales pour me remplir de force ! Pour une fois que ma gourmandise peut être utile…

Je rejoins Alain à 7H45 en échauffement jusqu’au métro Prado. Nous nous dirigeons vers les vestiaires sans se douter de la galère que nous allions vivre à cause du manque d’épingles à nourrice. Aucun de nous deux ne s’est rappelé d’en prendre, mais surtout nous avions naïvement cru que « la famille de la course à pied » était composée de membres assez charitables pour partager des épingles. C’était sans savoir qu’avant les courses la plupart des gens sont enfermés dans leur petit monde de performance discutant des chronos qu’ils vont faire, des ambitions qu’ils se sont fixées et qu’on a même pas fini de poser la question qu’ils ont dit :  « NON » !

Mais nous ne sommes pas aux bouts de nos malheurs : notre course a déjà commencé quand le sac de Alain se casse devant le camion. C’est là où la solidarité de la course à deux est d’abord apparue puisque j’ai mis les affaires de Alain dans mon sac.

Il restait une dernière frontière à passer, celle du SAS handisport généralement très protégée à cause du départ anticipé. On a très peur d’être démasqué au moment où l’agent de contrôle nous demande de nous présenter. Heureusement il n’a pas de liste pour contrôler parce que j’ai oublié le temps d’un instant que je m’étais rebaptisée Cécile et je lui ai donné mon vrai nom. Plus malin que moi, Alain a bien insisté sur le nom Laurence en le prononçant en anglais pour le masculiniser. Alors que nous le redoutions comme un loup, notre cher agent de contrôle s’est plutôt comporté comme un agneau en résolvant notre problème d’épingles et même en changeant mon dossard guide fait maison contre un dossard guide de la course, la classe.

Nous nous échauffons 20 bonnes minutes après la  ligne de départ au vu des photographes et des organisateurs sur 30M sur 30. Je m’entraîne à guider Alain sous ses bons conseils pour qu’il garde confiance en moi tout au long de la course. Il faut prévenir le danger et le signaler. « Attention dodane…dodane », « attention virage à gauche… à gauche toute ». Nous nous fixons l’objectif de course aux alentours de 1H40-1H50.  Les courses avec des participants handisport ont ceci de particulier qu’elle comprennent souvent un départ anticipé, qui offre l’immense plaisir d’ouvrir la route et de profiter d’un départ calme et d’un parcours dégagé. Inondés d’air et de soleil de la matinée, nous avions véritablement l’impression, en quittant la ligne de départ, de se plonger vers l’horizon !

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Nous partons 10′ avant les autres coureurs avec 12 autres handi sous les encouragements des spectateurs venus nombreux pour l’évènement et ce jusqu’à la fin de la course. Nous sommes alaise les premiers KM. Nous nous faisons dépasser par les élites vers le 4èmeKM que je n’avais jamais vu d’aussi prêt pendant une course. J’indique à Alain les temps de passage à chaque KM. Alors que nous on est à 11,5-12KM/H, ils ont une vitesse qui nous donne l’impression de marcher.

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A partir du 6èmeKM, nous montons le col de la Gineste, 300M de dénivelé, jusqu’au 10èmeKM. Malgré la difficulté dans la montée, je maintiens une allure d’environ 9KM/H. C’est moi qui donne l’allure, Alain étant plus rapide. A ce moment, je ne compte pas tous les encouragements qui nous sont adressés par les autres coureurs, tapes Sur l’épaule d’Alain, félicitations… nous trouvons à tour de rôle assez de souffle pour les remercier tellement l’émotion est grande. On peut dire que la grande famille de la course à pied rattrape en encouragements ce qu’elle n’a pas pu donner en épingles. Des pom-pom girls sont même là pour l’évènement. Je ne manque pas de le signaler à Alain, on ne sait jamais de quel côté peut se rajouter la motivation !

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Au 10èmeKM, il était temps d’atteindre le sommet, la course commençait vraiment à se durcir. Malgré la descente vers Cassis, il a encore fallu récupérer de tous les efforts laissés dans la montée pendant quelques KM. Ce n’est qu’après, qu’on a vraiment plus accéléré et qu’Alain s’est exclamé : « si seulement toutes les courses étaient pareilles ».
Je mets en pratique mon entraînement au guidage en lui attrapant le poignet pour le rapprocher de moi au moment où nous passons entre les photographes de part et d’autre de la route. Je ne manque pas de lui suggérer de faire un petit sourire pour le souvenir. Je lui décris aussi un paysage vert et rocailleux de part et d’autre de notre route pour colorer de douceur tous nos efforts !
Alain se ravitaille enfin en eau mais ne veut pas de solide sinon il me dit qu’il risque de se sentir mal. Je prends une portion de banane et une bouteille d’eau à la volée mais Alain souhaite marcher. Je le motive pour ne pas s’arrêter et nous repartons de plus belle. Il me confiera plus tard que le fait de courir à un rythme différent du mien l’a fatigué.

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Nous descendons fortement jusqu’à cassis avec vue sur la mer et les derniers KM se font plus dur surtout pour Alain qui ralentit l’allure malgré mes encouragements ainsi que ceux des autres coureurs et spectateurs. Après 1H53 de course, il franchit péniblement la ligne d’arrivée en s’allongeant sur le sol jusqu’à être secouru par les urgentistes (classement handisport 6è/12 en 1H43).

Je l’accompagne jusqu’au poste de secours. Il est à 7 de tension. Une fois qu’il est pris en charge par l’équipe, je pars récupérer nos sacs aux vestiaires. Une bonne heure s’est écoulée depuis la fin de la course, le temps de me ravitailler, de me faire un brin de toilette et de retrouver mon frère et ma belle-soeur. Alain m’attend assis avec le sourire à l’entrée du poste de secours, il me fait part du fait que de nombreuses annonces ont été passées et a hésité à dire mon prénom Carine « dite Cécile ».

Nous nous dirigeons vers le bus de retour en débriefant à haute voix jusqu’à notre bière de réconfort dans un bar du Prado à Marseille.
Je propose à Alain de tester le miel en dosette individuelle lors d’une prochaine sortie longue avant une compétition de 10KM où il fera mon lièvre à 13KM/H.

J’ai trouvé dans cette expérience formidable une autre façon de vivre la course à pied et je compte fermement me donner les moyens de faire d’autres courses avec Alain ou d’autres handicapés visuels et/ou moteurs, voir intégrer un club handisport l’année prochaine. Il y a dans le fait de courir à deux des sensations et une complicité sportive irremplaçables !

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